Lundi 23 février 1 23 /02 /Fév 08:52
 



Un jubilé se prépare

(Un anniversaire qui revêt une importance majeure ; vingt-cinq ans du quart ultime du vingtième siècle où toutes les métamorphoses se sont précipitées sur le monde, le bousculant, le transformant radicalement et, de con en fomble : Un anniversaire de mariage. Mais il ne s’annonce pas très bien. En fait, c'est le mari qui est mal tombé, l’autre soir, en sortant du travail. Il a dérapé bêtement ; bêtement n'est pas l'adverbe (qualificatif) convenable

Il sort. Trois des ses assistants l’abordent. Là, devant l'entrée, boiteux, à deux rangs de marches du palier. Ils lui soumettent un minuscule problème resté en suspends qu'il faudra résoudre demain :

— Impérativement ! —

Il en boude d'étonnement, comme à chaque fois où ça l'agace qu'on le re-questionne au sujet d'une « constante » ; d’une valeur invariante dont, forcément On connaît déjà (car, on ne peut l’ignorer) la bonne solution...

Mais bon, c'est comme ça ! Alors ? Il vaut mieux jouer « Saint Placide » ! Alors, comme d’habitude, il va la leur redonner, la « bonne solution », comme si c'était la première fois… Sauf qu'aujourd'hui, il leur sert :

— Ah y’ah y’aïeh, Pour ce peu vous vous êtes confondus ! —

Les autres en restent médusés, surpris abrutis bouches bées.

A lui, ça le fait rire ; ça le fait rire comme un enfant riant des bouffonneries du clown. Seulement, ce n’est pas de leur ébahissement dont il rit mais de sa belle mère qu'il entend s’exclamant ainsi par son juron favoris importé de Tunisie accent compris. Ça aussi : chaque fois qu'il joue de son humour, il rit seul ...

Voilà !

La discussion est close. Ils s'en vont. Ils descendent le trottoir...

Virginie à sa droite se tord le pied. Elle écarte les bras pour se rétablir... Il veut la retenir en saisissant son bras. Leurs pieds glissent sur la plaque vergracée(*). Virginie (ou plutôt son quintal) le déséquilibre. Ils s'affalent sur la chaussée. Elle tombe sur lui.

— Ce n'est rien ! — Crie-t-elle à ses collègues l'aidant à se relever.

* * * * *

(*) Une plaque vergracée, c'est une plaque recouverte de graisse, d'huile et d'eau : ça glisse comme sur une patinoire.

Allô Chérie ! — Hurle Marcel au combiné du téléphone en cabine.

— Oui ! Dis-moi : t'as fait une galante rencontre qui t'a retardé ? —

Grésille la voix « chérie » du fond de la pastille en conserve.

Tu ne crois pas si bien dire ! – Maudit-il par ces mots dits.

— Oui mais elle vaut le retard, au moins ? Je commençais à m'inquiéter ! — Nasille la même voix « chérie ».

J'appelle de la Pitié ! — Dit Marcel shuntant l’inquiétude « chérie »

De la pitié ? De la pitié ! T'es drôle toi... — Désapprouve « chérie ».

Je m'en passerais ! Je t'appelle de la Pitié : l'hôpital ! — Corrige-t-il.

— Mon Dieu ! T'as eu un accident ? Où t'es, où t'es, je viens ... —

— « Ce n'est rien ! » Qu'elle a dit, la grosse vache qui m'a cassé le pied ! –

Dit Marcel. Et il lui raconte tout et ajoute :

— Ça m'agace prodigieusement : cette carcasse hébergeant une aussi petite cervelle, qui se croyant l'héritière d'un éclair de génie te lègue de gros dégâts. Mais ce n'est rien ! Un cuboïde, un scaphoïde, l'astragale, deux métatarsiens, et le péroné en prime. Deux mois de plâtre et six mois de rééducation ! Qu'il a dit l'ortho de l'hosto ! Ça m'apprendra à faire du zèle urbain ! Putain ! –

Maugrée-t-il au téléphone.

Et sa femme rit ; elle rit, non du pied plâtré, mais du ton et des mots utilisés pour commenter ce stupide accident. Mais, ne vous y trompez pas : elle a beaucoup de peine pour son mari. Et au fond, ce n'est pas une humeur à rire qu'elle héberge. Seulement, c'est ainsi, chaque fois qu'il lui raconte une histoire, même une histoire sanglante, il la fait rire...


Elle s’est précipitée vers sa voiture...

Elle roule vers l'hôpital. Elle est un peu triste. Une perle de larmes roule sur ses joues. Elle l’écrase d'un revers de la main.

Feu rouge.

Au coin de la rue, un homme, imposant, s'apprête à traverser. Elle éclate de rire puis chantonne l'air stupide de « au près de ma blonde » :

— C'est la grosse vache... Qui m'a cassé le pied... —

Feu vert.

Elle poursuit sa route. Auguste Blanqui, place d'Italie. Elle rit. Boulevard de l'Hôpital : c'est pas banal ! Elle rit encore. Direction la Pitié – Sale pétaudière. Elle rit : inlassablement elle ne peut s’en empêcher.

Une béquille dressée : ça c'est Marcel !

Elle rit toujours… Puis elle arrête... Plutôt : elle freine et la voiture s'arrête. Marcel ouvre la portière, claudique et s'installe. Elle sourit. Il la regarde dans le trait de lumière blafard du réverbère sur son visage radieux qui le ravit. Il se penche vers sa bouche et dévore ses lèvres :

— Humm ! Soyeux comme une pêche couverte de rosée. —

Son sourire s'épanouit, ses deux noisettes à la pigmentation dorée étincellent dans la pénombre et l’émail de sa bouche crée l'aurore : elle adore quand il lui chuchote ces douceurs qui ravivent ses souvenirs d'enfants : quand ils n’étaient que des enfants… Quand dès l'aube, elle s'enfuyait pour le retrouver dans les champs de lavandes, au milieu des mimosas, derrière la haie de bougainvilliers, dans les vergers couverts de la rosée... L'immensité montagneuse derrière eux. La mer devant, à l'infini s'unissant au ciel. Le soleil grimpant à l'assaut du firmament... Et, quand à l'heure de la sieste prenant de la hauteur ils escaladaient la paroi rocheuse et gagnaient le maquis…

Elle se souvient de tout ça comme si c'était hier ; elle se souvient de leurs dialogues « enfantins d'adultes inexpérimentés » ; elle se souvient la douceur de leurs caresses comme celles de la brise sur sa peau ; elle se souvient la chaleur du soleil sur leurs corps nus comme celle des mains de son « homme ».

Ils se découvraient, comme des explorateurs en quête d'inconnus, comme quand on joue à s'ausculter ; ils jouaient de leurs émois dressés ; jouets aux chairs roses et à la rosée nacrée ; jouer à jouir de soupirer... Mais ils refusaient encore de se consumer à se consommer ...

Elle n'avait pas quinze ans. Il paraissait bien plus que ses dix sept.

Mais ce n'étaient que des enfants qui étaient heureux comme des grands (car ils ne savaient pas ce que cache le « bonheur des grands ») qui s'aiment encore comme... ils ne le savent plus eux-mêmes (les grands) : possèdent-ils seulement les bons mots : « les mots à s'expliquer » ?

Mais à eux, enfants, leurs étaient-ils utiles ?

Eux ? Ils se connaissaient, des frissons de la chair jusqu'aux tréfonds de leurs cœurs, comme les grands laissent à le voir ou à le faire croire...

Et leur virginité ?

Pouvait-il exister d'autres gages à leur bonheur ?

* * * * *

En empruntant la rue Daguerre qui conduit vers le parking de leur appartement de la rue du Maine, elle dit, d'une petite voix :

— Demain, je téléphonerai pour dé-commander le repas. —

Surtout pas ! Je ne suis pas encore là ! - Répliqua-t-il en tournant sa tête

vers la droite, en direction du mur d'enceinte du cimetière du Montparnasse.

Elle pouffa en disant :

— Encore heureux. Je ne me suis jamais préparée à jouer le rôle de la veuve joyeuse ! —

— Pourtant ! Tu portes le noir comme le blanc : à froisser. —

— Sûr ! Ce n'est pas toi qui repasses ! — Défroissa-t-elle.

Ça fait pas un pli — Marqua-t-il...

Et on pourrait entendre leurs enfantillages jusqu'à demain car c'est ainsi qu'ils se sont toujours plus... à masquer leurs tracas. Néanmoins, ce soir elle était un peu déçue par cette sournoiserie de la vie qui gâchait sa célébration d'un quart de siècle de bonheur matrimonial...

Ça fait rien ! On le fêtera en tête à tête égoïste ! — Balbutia-t-elle.

Pourquoi diable ! Vais pas me cloîtrer ! — Rétorqua-t-il agacé.

— C’est inutile d'aller dépenser, si tu ne peux pas danser… —

Se justifia-t-elle... Elle est comme ça Déborah : économe. C'est son gros défaut à Déborah : elle est économe, par atavisme comme par plaisir ; elle est économe depuis les leçons de sa mère jusqu'à son métier...

Déborah a toujours compté. Et elle compte encore beaucoup, et elle compte aussi pour les autres… Ne répugnant même pas à sermonner son patron :

Vous dépensez trop à inviter vos clients. Ils vous rapportent moins que ce qu'ils bouffent ! Ce mois-ci, pas de restaurant. —

Lui interdit-elle. Et il ne moufte plus : la dernière fois où il s'était moqué d'elle, il avait gagné le bénéfice d'un redressement fiscal qui l'a dressé

...

— D’accord ! Avec mon pied cassé, je ne pourrais pas danser mais je n'ai pas l'estomac dans les talons que je sache ! Puis, je ne vais pas rester planté… tel un emplâtre…. — Il jongle avec les mots.

C'est plus fort que lui.

Et elle, elle en rit : elle n'a jamais su se retenir, lui donnant à croire qu'il sait bien manier le calembour ou pire encore, qu'il est le roi de l'humour ...

* * * * *


C'est le « grand soir » : le vingt cinq septembre de l’agenda en était noirci ...

Il sortit son smoking : celui du grand jour. Il y a vingt-cinq ans. Il lui allait aussi bien que si c'eût été hier qu'il ait dit : «  Oui ! » Enfin, pas exactement aussi bien car elle fut obligée de découdre vingt centimètres de tissus au bas de la jambe pour permettre au plâtre de passer :

Dommage ! Je ferai pas mieux : il restera abîmé à cette jambe ! —

Dit-elle sur un ton de désolation de fin du monde. Il répliqua illico :

— Au diable les varices ! —

Elle enfila sa robe du soir en satin pastel bleu isatis, celle que Marcel lui avait offerte pour leurs dix ans de mariage fêtés à Venise. Le fourreau la sculptant merveilleusement flattait tous les méandres de son corps.

— Ah ! Pour sûr mon amie ! Si ma peur du dentiste, en ce veule retranchement ne me contenait, pour ne point être formaliste, pour sûr ma Mie, je vous croquerais ! —

Déclama-t-il sur le ton du Sociétaire de la Comédie donnant sa réplique à Ophélie... Il attisait la flamme tandis qu'elle chaussait ses escarpins de feu. Elle ne rit pas. Mais, elle sauta à son cou et lui mordit les lèvres, doucement, en bafouillant, tendrement :

— Les pfdenpfistes zve m'en broffe ! —

... Il lui offrit l'appui de son bras, solennellement. Il chercha l'appui de sa béquille, maladroitement. Et ainsi, cahin-caha, ils sautillèrent, cabotins cahotants, vers l'ascenseur... C'était le grand soir qui s'annonçait très gai…

* * * * *

Vingt cinq septembre 1974...

Ils s’épousèrent au cœur de la révolution sexuelle pour fuir autant la libéralisation des mœurs que l'archaïsme des traditions familiales...

Et ils survivront à tous les effondrements qui surgiront autour d'eux.

A celui des crises des couples gravitant dans leur environnement comme à celui des crises d'angoisses populaires. Qu'elles aient été engendrées par la faillite économique, par la ruine sociale, par la déliquescence industrielle ou par d'autres syndromes comme le SIDA, elles leur semblent étrangères.

Lorsqu'on les connaît un peu, on s'étonne toujours en constatant que toutes ces péripéties d'Histoire ne les laissent pourtant pas indifférents. Cependant, on croirait qu'elles sont passées autour d'eux, sans même glisser sur eux

Vingt cinq septembre 1974

Elle a dix sept ans et neuf mois. Lui, aura vingt ans dans trois mois.

— Des enfants qui se marient, c'est possible encore aujourd'hui ? —

S'étonnait la petite foule réunie devant la mairie de la Gaude.

C'est possible : eux l'avaient fermement décidé depuis longtemps ; depuis qu’ils se fréquentaient, c'est-à-dire, depuis l'école primaire...

Alors, quand cet ouvrier agricole les croisa, enlacés dans les genêts du rocher coiffant la colline qui surplombe le village, au loin, et qu'il les charria, ils répliquèrent sans rire :

— Nous sommes « fiancé ». Voici deux ans déjà. —

— Qué lù say ? Fianzati ? I dé qual bendiziona : à l'insú de tutti ! —

Se moqua-t-il d’un accent tendancieux (du col de Tende).

Notre amour est peut-être secret mais il est vrai. — Se défendirent-ils. Et, la nouvelle réjouissant pas mal de monde, courut dans tout le village comme la traînée de foudre embrase le ciel.

Plus d'escapades dans les collines, les champs, ni de baignade à la plage d'Antibes ...

Gronda le père de Déborah.

Un LLANES ne fréquente pas la fille d'un négociant Juif !

Hurla le père de Marcel...

Maintenant, tout le monde avait été «au parfum» ! Comme on dit Ici.

Mais ce ne fut Rien ! Déborah et Marcel étaient déjà du genre à riposter à une escarmouche aussi banale : « C’est plus le moyen âge bordel ! ».

Ils demandèrent l'arbitrage du maire contre l'avis de leurs familles et leur haine par intérêts coutumiers.

Je ne peux pas faire grand chose pour vous. A part que j’ai le pouvoir de vous marier… Si vous me le réclamez officiellement. —

Pas « grand-chose » !

Choisir entre « rien » et « pas grand-chose » ?

Rien de plus facile ! N'est-il pas ?

... Vingt cinq septembre 1974...

Quinze heures trente.

Dans sa robe de mousseline blanche, une couronne de perles et de fleurs tressées dans ses longs cheveux noirs, Déborah ressemblait à une déesse grecque.

Dans son habit d'apparat anthracite, Marcel se dandinait comme un pingouin cherchant où se glisser.

Mais les familles n’étaient pas là pour se moquer d’eux, sauf la grand-mère maternelle de Marcel. Mamie Maria.

Elle ne se moqua pas, elle. Elle, ravie de la bonne blague par laquelle les enfants bernaient la raison des « gens mûrs », elle se plût à jouer le rôle de la bonne fée en accomplissant des bienfaits auxquels on est incapables de rêver : La robe, le smoking, les alliances... Et le repas de noce pour les autres enfants (une quinzaine de copains copines, acteurs engagés de la farce)… Et aussi le petit appartement de Nice… Et surtout, la petite rente... Et encore le voyage de noce. Mais ce sera pour Noël prochain dans la maison de Patrimonio : Mamie GRAZIANI a quelques biens... Et surtout de bonnes vignes !

Vingt cinq septembre 1974...

Quinze heures trente cinq. Ils se sont dit : "OUI ".

Ils sortirent de la mairie. Ils quittèrent la Gaude pour toujours.

Sur les hauts de Cagnes, chez un copain dont le père avait prêté une remise, ils s’étaient réunis pour « nocer » jusqu'au bout de la nuit ...

C'est à ce jour qu'ils repensaient aujourd'hui.

* * * * *

A suivre
Pateric©

Par Pateric - Publié dans : Nouvelles - Communauté : Des Fantasmes par la Langue
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  • : 28/01/2009

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