Dimanche 22 février 7 22 /02 /Fév 09:58
 

— Mon amour, je vais te raconter une drôle d'histoire ; une histoire qui n'est pas très drôle, qui n'est pas très gaie et pourtant qui est vraie. Mais avant de débuter je dois préciser que tu risques de ne pas l'aimer et même si je ne suis coupable que d'avoir été charitable, je ne t'en voudrais pas que tu m'adresses des reproches ou que tu me détestes. —

Toi, t'as encore prêté de l'argent à l'une de tes secrétaires... —

Non, ce n'est pas une histoire d'argent. —

Si tu t'es encore fourré dans un de ces mélos de mécénat à la mords-moi le nœud dont t'as le secret, je te gifle. –

Et si c'est une aventure sexuelle, tu me poignardes ? —

Une maîtresse, Toi ? — Elle ricana et affirma : — Impossible ! —

Et si, elle n’avait consenti à lui expliquer pourquoi elle est certaine que c’est impossible qu’il puisse conduire positivement une histoire de sexe ailleurs qu'en elle, et si elle ne l'avait pas incité à lui livrer « son mélo de petit cœur charitable », nous n'aurions pu écrire que le mot « fin » dès avant le préambule de cette histoire se dénouant au coeur du dialogue suivant :

— Veux-tu savoir pourquoi je sais que tu n'auras jamais aucune maîtresse ? Les femmes te font peur. Tu ne leur parles que par nécessité, tu ne leur adresses aucun compliment, tu ne les regardes même pas... Et, comme je m'occupe très bien de ta libido ; que je ne laisse aucun de tes sens s'endormir sur l'oreiller sans que tu n'aies jouis beaucoup de moi et de toi en moi, tu ne penses nullement à « faire le joli cœur ». —

Lui, son assurance et son arrogance le laissent muet.

Tu aimerais croire que je me sur estime ! Eh bien, non cher mon amour. Ainsi même, si tu as pu succomber aux rond-ronds d'une autre chatte, je ne te reprocherais rien parce que bêtement tu te seras laissé attendrir par des miauleries pitoyables. Allez va ! Racontes-moi ta drôle d'histoire qui n'est ni drôle ni gaie. —

Tu te souviens de Joseph, le chef du Service Ordonnancement ? —

Celui dont tu as dit, il y a deux jours : « S'il mettait autant de zèle à son travail que celui qu'il s'accorde pour réussir à baiser tous les culs qui roulent devant lui, ce serait de loin, le plus efficace de tous les chefs de services que je dirige ». — Demanda-t-elle.

Oui, celui-ci. — Lui confirma-t-il.

Alors ? Il est inconstant, libertin, pervers... J'ai compris : t'as eu pitié d'une « harcelée » venue se plaindre à toi ! – Rit-elle.

Il ne savait pas pourquoi elle riait mais il voyait que c'est de bon cœur. Alors, mis en confiance par cette bonne humeur, il raconta à sa femme l'histoire telle que tu la liras ici. Mais auparavant, tu devras patienter car d’abord, il faut que nous te rapportions quelques anecdotes des moeurs à ce Joseph-ci afin que tu retiennes ses subtilités ; comme qui dirait : extraire l'essentiel du méli pour sauver le mélo...

Commençons donc !

Joseph Maurel, est l'un des adjoints de notre directeur qui, à ce titre, l'apprécie. Car Maurel, qui conduit ses missions avec le professionnalisme nécessaire et convenable à son poste, avec une juste autorité, avec ordre et méthode, maîtrise la bonne gestion de son service : avec une acuité de fin économe. Bref, dans ses cours d'actions : réflexions, décisions, actions, il est rigoureux...

Cursus et Formations atypiques peu conformes à nos critères sélectifs

Malgré ce commentaire, griffonné en marge de sa candidature par un assistant des Ressources Humaines, madame la directrice des dites ressources avait incité notre directeur à le recevoir. Il avait bien essayé de connaître ses motivations mais elle avait usé de ce faux-fuyant :

Recevez-le ! Il ne vous coûtera guère que quelques minutes ! —

En quittant son bureau, tête à l'angle de la porte, le reste dans le couloir.

De fait, dès leur premier entretien, notre directeur pensant : — Il sera le Candide parfait dont les questions bousculeront nos chères certitudes d'ingénieurs — ; estimant que cette expérience pourrait s’avérer instructive, il le choisit.

Or, dès lors que Maurel fut « élu », des rumeurs malignes envahirent les couloirs directoriaux, autant ceux des ressources humaines que ceux de la direction technique... De refait (et derechef), cela plût à « notre » directeur…

Aujourd’hui, ça lui plaît toujours et… malgré tout.

Alors, des rumeurs traînantes, à propos de l’infidélité de Joseph Maurel et de leurs intrigues s'inscrivant dans notre paisible environnement de travail, notre directeur, il s'en moque, lui. Et sachant que toi (t'en moquant un peu moins), tu aimerais qu’on t’en raconte, au moins une (et une plutôt très hard, tant quà faire), avant, il faut que nous t'avouions que notre directeur mit fort longtemps pour « voir la vérité en face ». Certes, la « rumeur couloireuse » dépeignait notre Maurel en Don Juan ou en Priape, ou en Sylvain ou en Dryade ; certes, cette rumeur lui attribuait de nombreuses liaisons, voire d’innombrables aventures et autres sauteries. Mais notre directeur ne voulait pas y croire : selon lui, ces rumeurs étaient trop constantes, trop caustiques et trop frénétiques, pour qu’il imagine autre chose qu'une cabale par jalousie banale.

Et Pourtant…

Plus de trois ans après son embauche, un jour et à l'improviste, notre directeur devait admettre qu'elles pouvaient contenir quelques vérités car le tableau, là, devant ses yeux, lui était apparu bien concret : assez évocateur et très vivant…

Je te raconte.

Un soir… C'est dix-huit heures environ. Tout est calme et il se croit seul. Il veut terminer un dossier mais il lui manque le rapport de synthèse qu'il avait commandé à l’une des ses assistantes. Il pense simplement : Elle aura oublié de me l'apporter avant de partir, je le trouverai sûrement sur son bureau ... —

Alors ? Comme de sa position-clé notre directeur tire l'avantage de posséder un passe général l'autorisant à pénétrer partout où il veut, Il y va, pardi ! Remarques, s'il y va, c'est à contrecoeur parce qu'il n'aime pas jouer au curieux. Et il aime moins encore fouiller dans des dossiers. Et puis aussi, il répugne inspecter chez ses collaborateurs. Donc, du passe, il s'en sert quasiment jamais. Et, selon ses principes, quand il lui manque quelque chose, il le réclame à la personne « compétente » et, s’il faut, il peut patienter jusqu'au lendemain.

Pourtant va savoir pourquoi ce soir là, croyant idiot de remettre à demain ce qu’il peut faire maintenant, il est allé le chercher, ce rapport nécessaire et indispensable pour clore son dossier.

Alors ? Voilà ! Il y est. La porte est fermée à clé : normal. Il fait jouer le passe.

Et alors ! Le vilain défaut est puni dès le bâillement de la porte d’entrée...

Ça forme une entrée garnie : table basse, canapés, grand miroir, porte manteaux, vitrines chargées d'échantillons de la production de l'entreprise…

Et, au-delà de la banque vitrée, un volume de cette espèce « d’open-space » englobant six bureaux individualisés par des cloisons acoustiques basses ; cloisons basses donc visibles de partout tout autour et par tous… Bref !

Le spectacle offert par le dernier bureau envahit ses yeux qui se troublent se brouillent et punissent son excès de zèle. Il demeure figé : poignée collée à sa main, porte bloquée demi-ouverte et demi-fermée comme refusant de choisir et lui interdisant de fuir. Il veut dévier les yeux mais son regard flou semble aimanté au bureau. Dans le miroir se défait un visage qui rougit, qui pâlit ; un visage distillant des perles de sueur sur le front. Puis le reflet des amants qui s’agite dans son dos ; le succès des amants qui se distinguent dans son dos. Il perd ses sens : miroir sans dessous inverse sang dessus dessous ; sens d’offense. Il grelotte du palpitant, il frissonne de l’échine. Laborieusement il ferme la porte et réussit malaisément à joindre son bureau chez qui il se « défense » en s’étalant dans le fauteuil qui le désavoue en couinant et en rejouant devant ses yeux la scène à l'infini où elle s’imprime indélébile jusqu’aux « igues » de sa tête débile n’ayant aucun remède à effacer...

Alors il s’agrippe à son manteau (comme à un voile de prétexte qui masquera sa fuite) et cours se réfugier chez sa femme…

Sa mine doit être pitoyable car elle s'inquiète : — T’es malade ?

J'ai vu quelque chose qui m'a fait de la peine. — Raccourcit-il.

Affirmant que lui, avec sa sensibilité ridicule, encore une fois… Elle se met en colère. Et supposant, à juste titre sûrement, que lui et sa sentimentale grandeur d'âme ; lui et sa conscience utopiste, se seraient encore une fois laissés attendrir par une connerie sans intérêt au sens du commun mortel, elle l’injurie et raille : long sarcasme du « con » informe et bouché qui l’habite toujours à la vision de ce que son éducation sectaire juge être des « infidélités Sybarites », des libertinages Sadiens, et autres adultères...

Ça, pour une connerie, étymologiquement c'est une connerie. —

Dit-il sèchement. Et aussi sec, il raconte le film qui « file sa mémoire » :

…J'ouvre. Je vois… Sur le bureau tête renversée yeux clos, mordant ses lèvres laissant siffler un soupir étouffé dans le chandail roulé libérant les seins jaillissants hors de leur carcan, jupe entortillée à la taille cuisses nues ouvertes couvertes d’une myriade frissonnante auréolant la tête du Julien animé d'oscillations ânesques broutant avec délectation... —

Soulevant habilement son sari de Bali, dévoilant subtilement quelques-uns de ses charmes…

Il frissonne de l’échine...

Révélant d’autres appas, adroitement offrant ostensiblement quelques-uns de ses attraits nus…

Il grelotte du palpitant : — tac-tic-toc… —

Sa femme l'interrompt :

Comment faisaient-ils ? — L’excite-elle.

Il transpire de l'Alerte...

Entre deux éclats de son rire espiègle elle le séduit.

Il fond du brelan aux dames.

T'es plus jaloux ! — Assure-t-elle...

L'heure du dîner s'est enfuie…

Puis les images crues du film aussi...

C'est mieux pour de vrai, non ! — Conclut-elle...

Beaucoup plus tard…


* * * * *

Depuis le lendemain de cet inoubliable soir, s’il doit absolument entrer ailleurs que dans son bureau, il frappe à la porte, toujours, même s’il se croit seul : il est persuadé que ça lui évitera des visions troublantes. C'est mieux ainsi…

Ainsi aussi n'a-t-il jamais relaté cette épique vision à Joseph, ni à son assistante, ni à aucune autre personne de cette société ci. De même, il n'a jamais su s'ils savent qu’ils les a vu ou pas. Et, comme en société ils restaient très discrets, il croyait à une idylle. De plus, sûr et certain, qu’elle (elle plus particulièrement) n'était ni frivole ni libertine, il croyait sérieusement qu'il fallait avoir vu, comme lui, pour être sûr qu’il s’agissait d’une belle et pure liaison vertueuse. Pourtant, un jour… Précisément elle, est dans son bureau, avec lui, tous les deux, seuls... Elle développait un rapport. Préoccupé par un souci d'autre nature, il forçait péniblement son attention à se fixer sur son commentaire. Sûrement qu’il devait la dévisager assez bizarrement car elle se tut net. Interloqué, il scruta ses yeux. Alors, souriante et avenante, elle affirma ; de ce genre de sourire peu farouche :

Vous aussi... Vous voulez... Me faire l'amour ! —

Il tomba du plafond ! Puis, se ressaisissant assez vite (Non mais… tout de même ! Ce n’est pas « par hasard » s’il est son directeur, n’est-ce pas ?), il lui répliqua, sèchement mais aussi très sincèrement :

Que dites-vous là ! Je suis choqué ! D'abord, j'ai des principes tels que : jamais de relation équivoque au travail. Ensuite, faudrait que je sois amoureux de vous. Seulement voilà : j'aime ma femme à la déraison. Enfin, si ma femme se désintéresse de mon travail, c'est pour mieux m'offrir ses plaisirs et me pousser à m'abandonner aux siens. Alors, croyez-moi, après elle, je n'ai envie de rien ni de personne...

Elle s'excusa… Lui aussi. Surtout, lui… Et surtout, il se fit un devoir (initié de sa morale) d'expliquer que « son regard insistant » était motivé par l'unique attention qu’il souhaitait porter au sujet rapporté et non pas à son charme qui, pour autant, doit être certain… Enfin quoi, l'une de ces veules flatteries dont les cadres supérieurs savent user et abuser sans bourses délier (C’est exactement ça : toutes les bourses)...

A cet endroit précis de sa lecture, sa femme (elle qui l'incita fortement à libérer de son histoire), choisit de vider son sac à reproches :

Tu te carapaces. Tu tais tes sentiments et parles de ce qui blesse avec distance : du bout des lèvres et des doigts mais jamais du fond du cœur.

ça l'interpella, sérieusement, intimement, problématiquement :

Est-ce par amour qu'elle me force à me dévoiler ? —

Livrer le fond de mon cœur ? —

ça ne lui donne pas le beau rôle ! —

Justement !

Alors, il lui promit de se faire violence et de se lâcher.

Même mieux : il lui promit de suivre une thérapie, si nécessaire.

C’est ainsi que, plutôt que de payer pour parler ; payer des psys par exemple, choisit-il de nous raconter cette histoire, pour que nous la saisissions et que nous la frappions pour lui…

Et que nous vous la transmettions dans l’ordre des choses... 




* * * * *

Quelques temps après l’épisode du sourire peu farouche de son assistante, il allait devoir de nouveau surprendre Maurel en flagrant délit de cunnilingution...

Le lieu et les circonstances étaient identiques, à la nuance près que la tête à Maurel fouillait entre les cuisses d'une autre femme. Ce qui différait aussi, c'est qu’il avait frappé à la porte et qu’il avait attendu qu'on lui répondit. Mais aucune voix ne se signalant, il était entré. Et, comme il ne doutait pas qu’il est seul, il se retrouva au centre du hall au beau milieu d'éclats désarticulant :

— humm-ahh-Hiii !

Eclats d'apothéose ou d'extasie triomphante, ponctuée du claquement bruyant de la porte qui se refermant derrière lui, ne surprit que lui...

Mais, et eux, alors ? Eux ? Ils ne s’affolèrent pas : elle caressait le crâne à Maurel, il abandonna l'antre, s’avança au-dessus d’elle... elle caressait sa raideur, Il lui caressa le ventre, les seins. Elle activa sa main branleuse. Il se raidit, se crispa et lâcha : — Vaouahff ! — En même temps qu'il lui gliclait sur le ventre. Elle remonta sa main vers ses lèvres et lécha ses doigts… Il fit courir sa langue du nombril aux seins… Il s'embrassèrent sur la bouche partageant son foutre.

Et notre directeur, là, devant ça ? Son cœur se désorienta : il chercha à fuir… Son coeur força le bord de ses lèvres : il bloqua sa respiration ; il bloqua ses mâchoires pour contenir son envie de vomir… Il paniqua… Heureusement que, ce cérémonial s'achevan et que nonchalamment la tête de la femme s'inclina, un peu, pour porter quelque attention vers la porte. Inclination qui, à nouveau, abasourdit notre Directeur reconnaissant la femme : madame la directrice des ressources humaines.

Elle ? De le voir là ne s’émut nullement. Et même, elle lui offrit un sourire ravi validant sûrement sa pleine satisfaction des compétences de l’adjoint. Ce fut donc, un test concluant. (On aurait aussi pu dire : un test « con gluant) … Quant à Maurel, son sourire brillant (plutôt, luisant) lui apparut franchement narquois... Toutefois, notre Directeur, qui n'avait pas du tout le cœur à sourire, voulut hurler son dégoût. Alors, il s'en retourna… vers...

Le lendemain, la Ds-RH lui téléphona : elle voulait s'expliquer. Il lui répondit : — Je vous attends chez moi. — Car il refusait d'aller chez elle : en terre ennemie. D'ailleurs, tu vas voir.

Elle tapa à sa porte... A peine l’eut-elle refermée, la poignée encore dans sa main, qu’il lui dit :

— Faites bref ! Car je n'arriverai jamais à vous comprendre. —

— Holala ! Le prude ! — Elle en rit gaiement : — Écoutez ! Je suis une femme libre ! Alors, je fais l'amour avec qui me plaît. Et ça, ça n'influe pas sur mes choix professionnels ni sur mes décisions : ni pour, ni dans l'entreprise. Simplement, pour Maurel, je voulais juste vous dire qu'avant son embauche je ne le connaissais pas : alors si aujourd’hui, parfois je baise avec lui, je vous jure que lors de son embauche ça ne m’avait même pas effleuré l’esprit. —

Dit-elle avec beaucoup d’aplomb.

— Savez-vous qu’il y en a d’autres ? — Chercha-t-il à biaiser.

— Oui, oui ! Je sais. Et c'est plus sain. — Sourit-elle.

— Vous croyez ? Ça ne vous embarrasse pas que n'importe qui puisse vous découvrir les jambes en l'air ? — S’étonna-t-il.

— ça me serait royalement égal... Seulement, voilà, seulement vous, peut entrer où il veut. — Le nargua-t-elle.

— Tous les directeurs peuvent entrer où ils veulent : vous aussi. —

— Ah ah ah ! — Rit-elle de bon cœur — Tu ne le sais pas encore ? Mais le seul directeur avec qui je n'ai pas encore baisé, c'est Toi. —

— Qu'entendez-vous par là ? — Bredouilla-t-il en cherchant (sans le trouver) le ton de l'ironie.

— Toi seul ne m'as fait encore aucune avance. — Elle ricana.

— Les propositions impliquent-elles l’action ? — Osa-t-il.

— Toi seul peux y répondre. — Dit-elle accentuant son tutoiement :

N’as-tu pas remarqué que T‘es encore le seul à me dire vous ? —

Insista-t-elle par un jeu à lèvres fort séduisant et d’un rouge scintillant.

— Donc « encore » est synonyme de « jamais » — Persifla-t-il.

— Jamais on peut affirmer : « jamais »... — Railla-t-elle.

— Comme je ne tutoie personne, je cours le risque. Bonsoir ! —

Il entendit trembler sa voix. Elle aussi, sûrement, car elle lui offrit un sourire ... Les écrivains, eux, auraient eu la méthode pour le décrire, carnassier ...

Lui, il n'avait même pas eu le courage de la dévisager, encore moins de l'affronter. D’autant que, shuntant son temps de la réflexion, elle avait allégué :

— Je sais comment tu te caches derrière ta femme ; derrière l'image de ton amour, de ses plaisirs comme derrière celle de la passion de ton travail... Quand après elle, tu te livres à ton travail, c'est comme à une maîtresse. Crois-moi : au travail, il n'est plus question d'amour mais de nécessité, autant pour moi que pour ta femme ou... —

— Faites chier ! — L'interrompit-il en hurlant. Aussitôt il ajouta :

— Laissez ma femme en dehors de tout ça ! Et foutez-moi de vous comme de moi la paix... —

Le rire grinçant et moqueur de la D(S)RH avait autant désorganisé sa pensée que ses mots. Alors, quand le grincement s’amplifia en ces mots :

— T'es introverti. Non ! Tu veux inverser les rôles, alors ? Dis-moi, t’es maso, dominé, ou... —

Notre directeur hurla : — Rien du tout ! — les vitres en tremblèrent et ça le soulagea. Exactement, il se sentit moins opprimé mais aussi, plus déprimé…

Entre deux gloussements elle dit : — Gros nounours boudeur ! —

— Oui ! Je sais, je suis comme ça moi : un sauvage, moi. Et puis, Sources humaines et psychotruc, moi, je m'en... —

Mais elle était sortie… Et il resta seul à s'entendre stupidiser...

Et le tableau de la veille qui restait imprimé dans sa tête... Il s'enfonça dans le fauteuil qui cette fois encore couina sa désapprobation. Il ferma les yeux, bien qu’il sût n’avoir aucun remède à effacer... Et la scène se déployait à l'infini...

Et la scène qui se rejouait en stéréoscopie sur l'écran de ses paupières closes... Et cette scène, exubérante, réveilla son envie de vomir...

Alors, se sentant fébrile, il s'enfila dans son manteau, et rentra chez sa femme...


Il attendait sa femme...

Le temps paraissait interminable... Il déambulait dans l'obscurité vestibulaire comme s’il avait eu peur que l'appartement l'avalât, ou… Comme on attend son tour dans l'anti-cabinet médical, en se faisant la bile minable. Tant pis, que l'image fasse le mot lourd : on ne soigne pas ses maux avec des mots empilés.

Peut-il encore supplier le supplicié empalé ?

Rivé au pal, qui peut le soulager de son mal ?

Alors ! A quoi donc servent les mots ?

A réconforter un peu ou à mortifier mieux ?

Où est l'intérêt ?

Qui en retirera de menus avantages ?

Pas lui : il avait trop mal

Ces maux qui étaient bien pires que le supplice de Tantale...

Il s'insultait sans répit :

— Pourquoi ai-je donc refusé d'écouter la suite ? Redoutai-je davantage d’entendre : Toute femme sait faire le bon choix. C’est la part de leur distinction. —

La voix grinçante de la sirène des RH persiflait dans son oreille ; un chant aiguë et grinçant, persistant à égrener ces mots :

— Crois-moi : au travail, il est question de nécessités, autant pour toi que pour ta femme ... —

Sa femme, faire un choix à part ; un lot séparé de lui : choisir de faire distinction des choses par nécessité ?

Comme : « Choisir de tolérer »... Des compromis ? Prendre des libertés en raison de...

Le raffinement de la distinction consisterait à assumer sans différence la part des nécessités ?

Qui possède pareille audace ! A quoi ça rime ?

Peut-on gommer le mot « infidélité » ?

Il n'en savait rien, ne sachant même pas ce que le commun mortel entend dans le mot « fidélité »…

— Toi, t'es encore tombé sur une séance cochonne. —

La voix de sa femme l’avait fait trembler de peur : à deux pas de la porte, il ne l'avait même pas entendue rentrer. C'est dire l'ampleur des stupidités qui l'habitaient. Normalement, de le surprendre ainsi, dans sa « sensibilité ridicule », ça la mettait en colère. Pas ce jour là. Et nous croyons même qu’il l'avait attendrie ... Ce qui, entre-nous, au lieu de le rassurer, avait intensifié sa panique.

Néanmoins il avait tenté de dépasser ses angoisses, comme ses pudeurs :

— Mon amour ; je ne parle pas de ce qui me blesse avec distance, je ne tais pas les sentiments de mon cœur ; je les exprime du bout des lèvres et des doigts non par dédain ou décence mais parce qu'ils me font peur. Si c'est ça, ma carapace, c'est que je l'ai héritée de l'éducation prude de mes parents et que je l'ai enrichie au calcium de ma timidité ... —

— Tu tournes en rond avec tous tes préambules, préfaces, volte faces. Dis, tu la racontes, ta drôle d'histoire qui n'est ni drôle ni gaie ? Sinon comment connaîtra-t-on son épilogue ? Moi, c'est ce que m'intéresse. Même plus : tout compte fait, ce que j'attends, c'est sa post-face. —

— Je croyais avoir réclamé ton pardon, avant ... —

— Arrête tes introductions verbales : vas au fond : remue-toi ! —

Il lui était soudain survenu des images qu’il qualifia aussitôt obscènes ; des images d'introductions et de pénétrations profondes : des images de rythmes diaboliques et d'oscillations saccadées, et du balancier asymétrique aux élans arythmiques ; des images du con par « G » enflammé.

Et tu vas rire, tant c'est stupide : ça l’a fait pleurer.

En fait (vaut mieux le dire dès à présent), ce n'est pas à cause de cette vision qu’il pleura, mais à cause du souvenir que tu découvriras dans le récit qui est par là.

* * * * *

C'était une fois…

Cette fois encore, où il lui manquait des pièces au dossier qu’il voulait clôturer. C'était longtemps après le soir à vomir ; après qu’il avait fait des efforts inouïs pour dominer sur les désordres qui ravageaient son cœur dès qu’il s'apprêtait à ouvrir une porte, à franchir son seuil, à pénétrer au-delà comme s’il avait eu à passer du ciel à l'enfer, ou comme s’il avait craint d'être pris en otage pour sévices et livré aux Borgia : Lucrèce, père et vices… Du moins était-ce les délires le conduisant aux portes de l'apoplexie. Et de l'enfer ou de Sodome, il ne savait pas jouer le Lot en nuances... Enfin quoi, ce genre d'amalgames débiles.

C'était avant, car aujourd’hui (et ça fait longtemps déjà), il n'écoute même plus battre son cœur…

C'était une fois où tapant à la porte, il entendit Maurel dire : — Entrez ! —

— Bonsoir, excusez-moi une minute. — Dit-il à Maurel et à la femme décemment assise face à lui, de l'autre côté du bureau : — Bonsoir, je vous présente ma femme. — Dit Maurel. Il se répéta plusieurs fois : insistant. Elle se leva, offrit un sourire éblouissant et dit : — Bonsoir monsieur ! —

Maurel s'excitant dans son dos, rabâchant : — C'est ma femme ! —, notre directeur finissait enfin par réaliser que « ma femme » signifiait bien qu'elle est légitime : Madame Maurel

Mais surtout, il réalisait également que c’est une femme… Splendide :

— J'en avais rarement croisé d’aussi élégante, d’aussi fine, d’aussi Sublime. Je sais reconnaître la beauté des femmes mais je ne sais pas la décrire. Je sais avouer : « c'est une belle femme ! » Expliquer pourquoi, ça non ! —

Il aurait été capable de dessiner ses traits comme on le fait d’une sculpture ou d’une plante... Tu aurais pu en toute liberté donner à cette virtualité les formes qui te plaisent, mais… De toute façon, pour la suite de l'histoire, sa beauté n’aura que peu d'importance, tu en jugeras par toi-même...

Et à l'instant où leurs doigts se serrèrent, il sentit une décharge : comme celle d'une surcharge qui fait disjoncter. Et il se surprit en surchauffe… A vouloir trop saisir ce qui peut bien pousser Maurel à se brûler ailleurs : — Il flambe au rendement sexuel ? Tout de même ! Elle est plus belle que la plus belle de ses maîtresses. Beaucoup plus belle ! — Hurla-t-il, en lui-même. Parce qu'au dehors, il fit bonne figure et salua révérencieux et bafouillant : — Enchanté de faire votre connaissance

Ils parlèrent de choses et d'autres, de banalités, de travail, d’enfants, de... Mais il n'écouta plus, étonné de découvrir que Maurel était, non seulement marié, mais qu'il avait aussi trois enfants… Alors là, il fut, de nouveau, saisi de cette « envie de vomir »... Alors, il dit : — Bonsoir ! — et quitta les lieux précipitamment, sans avoir récupéré ce qu’il était venu chercher, et, en courant sans interruption, il rentra chez sa femme : — J'avais grand besoin de te serrer fort dans mes bras. —

* * * * *

A suivre
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Par Pateric - Publié dans : Contes - Communauté : Des Fantasmes par la Langue
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